- BIBLE - Les traductions
- BIBLE - Les traductionsDès l’Antiquité préchrétienne, la Bible a été traduite – il faudrait dire, plus adéquatement, produite – dans une multitude de langues. Dans ce processus, on doit, en fait, distinguer deux moments: d’une part, celui des versions «anciennes», qui se prolonge jusqu’au Moyen Âge avec la traduction en slavon de Cyrille et de Méthode (IXe s.) et la Bible arabe du juif Saadia (env. 885-942), en passant par les Bibles grecque et latine, araméenne et syriaque, éthiopienne et copte, arménienne enfin; d’autre part, celui des versions «modernes», qui jalonnent l’histoire de l’imprimerie. Ces dernières atteignent un nombre impressionnant: en 1977, on a recensé mille six cent trente et une langues de diffusion (surtout dans le monde protestant) de la Bible, alors qu’on en comptait seulement soixante et onze au début du XIXe siècle.1. Diffusion et traductionsEn fait, le mouvement des traductions de la Bible est le reflet de l’extension géographique, culturelle, sociale et économique, pour ne pas dire politique, du christianisme, avec ses phases de crise et ses périodes de relance. C’est ainsi que la Réforme fut et demeure un facteur majeur de diffusion de la Bible; à ses débuts, elle a donné la fameuse Bible de Luther: cette première traduction allemande, réalisée sur des textes originaux, eut une grande influence sur l’évolution de la langue germanique et fut adaptée notamment en danois, en suédois, en hollandais. Elle rompait avec l’utilisation du texte latin de Jérôme comme base des premières traductions de la Bible dans les langues de l’Europe occidentale (encore au XVIe siècle, la Bible française de Lefèvre d’Étaples s’appuyait sur ce texte de la Vulgate). D’une certaine manière, le renouveau biblique catholique du XXe siècle semble avoir une signification identique avec la publication de la Bible de Jérusalem (en 1955), qui est traduite ou adaptée dans la majorité des langues européennes.La diffusion, sous la forme de traductions, de la partie juive de la Bible fut bien plus limitée. Contraints de conserver leur identité nationale alors qu’ils se trouvaient minoritaires, les juifs ont continué à utiliser, pour les besoins de la synagogue, l’hébreu ou l’araméen des targums. Par ailleurs, leurs efforts pour répandre la Bible au sein de leurs communautés locales souffrirent, parfois durement, des mesures des autorités chrétiennes, qui allèrent jusqu’à faire disparaître les documents eux-mêmes. Néanmoins, ils assurèrent des traductions, notamment en judéo-persan (XIIIe-XVe s.), en judéo-espagnol ou ladino (XIIIe-XVIIIe s.), en yiddish (XIIIe-XVe s.).L’une des caractéristiques constantes des traductions de la Bible, c’est d’être parfois et même souvent fragmentaires. Cela tient à des raisons diverses: d’abord, aux besoins, obligatoirement sélectifs, du culte (ainsi, récemment, une Bible catholique dite liturgique, avec une traduction et un découpage particuliers, a été élaborée conformément aux dispositions officielles du IIe concile du Vatican); ensuite, au souci d’éduquer les couches populaires auxquelles on ne livre qu’un choix de prières ou de récits, adaptés dans la langue ou le dialecte du lieu; enfin, à l’étalement dans le temps de l’énorme chantier que constitue une traduction complète de la Bible. Une telle entreprise, en effet, entraîne la parution séparée – parfois à titre de test ou d’annonce, ou bien pour de simples raisons financières – de certains livres bibliques, surtout du Nouveau Testament chez les chrétiens ou au moins chez les catholiques, en attendant l’achèvement de l’ensemble (ce fut le cas de la Bible Osty). Il est même arrivé, dans un passé lointain ou tout récemment, qu’on arrête la tâche en cours d’exécution. Cette méthode de publication fragmentaire nous ramène d’ailleurs, en quelque sorte, aux sources de la Bible, qui est née, en fait, d’une organisation de type anthologique.L’histoire de la traduction de la Bible est aussi celle d’un conflit: entre, d’une part, la volonté de restituer au mieux les données sémantiques du texte original (ce qui a atteint son paroxysme avec la traduction d’Aquila ou encore avec la Bible de Chouraqui) et, d’autre part, le souci de communiquer à un très grand nombre de lecteurs, au besoin par des allégements ou, au contraire, des ajouts intégrés, l’essentiel présumé du message biblique (c’est ce qu’ont fait les targums dans l’Antiquité juive, mais aussi ce qui a commandé le succès de la traduction contemporaine de Pierre de Beaumont, délibérément conçue comme devant être une vulgate moderne).2. Les grandes versions anciennes de la BibleLe souci de faire connaître la Bible à un groupe religieux donné en la traduisant dans sa langue, avec une attention particulière à ses besoins propres, a donné lieu à un certain nombre de traductions anciennes qui ont, en fait, revêtu une valeur fondatrice ou normative. Parmi elles, on peut retenir notamment, outre la traduction latine de saint Jérôme devenue la Vulgate, les versions judaïques des Septante (traduction qui fut ensuite adoptée par le christianisme) des targums et d’Aquila.La version des SeptanteDès le IIIe siècle avant J.-C., les Juifs d’Alexandrie, organisés en un politeuma , entreprirent la traduction en grec, leur langue vernaculaire, de la Loi, écrite en hébreu. Des raisons qui tenaient tant à leur besoin cultuel (lecture synagogale et prédication) qu’à leur souci de propagande et d’apologétique les y poussèrent. La fameuse légende des soixante-dix (soixante-douze) traducteurs, rapportée d’abord par la Lettre d’Aristée avant de connaître une large fortune dans la littérature patristique, valut le nom de Septante à cette traduction.Le rôle de ce texte grec de la Bible fut déterminant dans le processus d’hellénisation du monothéisme juif, véritable refonte de la culture jusque-là figée dans les modes de pensée et d’expression hébraïques, ouverture qui fit de la Septante la Bible méditerranéenne juive, puis chrétienne. Jusqu’à saint Jérôme, qui, le premier, s’employa à la détrôner, la quasi-totalité de l’Église la considéra comme son Ancien Testament. Elle avait été la Bible des auteurs du Nouveau Testament. À l’exception de la traduction syriaque (Peschitto) et de la Vulgate, et encore avec des nuances, toutes les versions dites anciennes de la Bible furent réalisées à partir de la Septante, que des auteurs juifs, tel Philon, ou chrétiens, tel saint Irénée, considéraient comme inspirée. Aussi n’est-il pas surprenant que les Juifs de la Synagogue, exclusivement pharisiens après la destruction du second Temple (70), aient qualifié le jour de la Septante de néfaste (selon une légende talmudique, les ténèbres auraient recouvert la terre en signe de châtiment) et l’aient exécré à l’égal de la commémoration du veau d’or.On traduisit d’abord les cinq premiers livres de la Loi (le Pentateuque); puis, progressivement, les Prophètes et les Écrits. Cette tâche se poursuivit tandis que les chrétiens, qui adoptèrent d’emblée la Septante comme leur Bible, commençaient à s’organiser en Église. Sur l’origine de cette traduction, deux thèses s’affrontent. La plus classique, adoptée par les deux grandes éditions modernes de Cambridge et de Göttingen, affirme l’existence d’une Septante originaire (Ur-Text , Ur-Septuaginta , Septuaginta-Vorlage ) qui aurait connu le destin classique des traditions textuelles: variantes et recensions. La plus séduisante, quoique minoritaire, est la thèse du targum grec. Les Juifs d’Alexandrie auraient traduit la Loi puis les Prophètes à l’instar des targums palestiniens, traductions araméennes, d’abord orales et plus ou moins spontanées, puis écrites (fragmentaires dans un premier temps, parce que déterminées par le découpage textuel du service synagogal, et ensuite regroupant des sections entières de la Bible). En réalité, ces deux thèses ne s’excluent pas systématiquement l’une l’autre.La Septante, pour une grande part, ne correspond pas à la conception moderne de la traduction. Véritable production biblique, elle manifeste bien des écarts par rapport au texte hébraïque réputé original. Ces «plus» sont de deux ordres. «Plus» quantitatifs: livres deutérocanoniques (Sagesse) ajoutés à des livres canoniques (Daniel, Proverbes). Et «plus» qualitatifs: sens nouveau imputé à certains mots; dans le Psaume XVI, par exemple, le terme «fosse» est rendu par «corruption» (cf. ce qui permit à la lecture chrétienne du chapitre XIII des Actes des Apôtres d’y voir une prophétie de la résurrection de Jésus), ou bien, en Isaïe, VII, 14, «jeune femme» est traduit «vierge» (source du dogme évangélique de la naissance virginale de Jésus). Pour le christianisme donc, la Septante déploie les qualités conjuguées, culturelles et linguistiques, de matrice et de postérité intrabibliques.La traduction grecque d’AquilaLorsque la séparation entre le judaïsme et le christianisme fut chose irréversible, les rabbins décidèrent de mettre en œuvre une traduction grecque des Écritures qui, par sa littéralité, se différenciât totalement de la «vulgate» grecque qu’était la version des Septante, celle-ci étant à la fois un monument de culture hellénistique et le bien propre de ces dissidents nouveaux qui s’appelaient «chrétiens». Parmi les tentatives faites dans ce sens, il faut retenir surtout, au milieu du IIe siècle, la traduction d’Aquila. Elle fut utilisée par les rabbins, probablement à cause de sa fidélité littérale au texte hébraïque, mais surtout en raison de son antichristianisme: elle marquait, en effet, la rupture entre le système juif et le système chrétien. Le Talmud et les Pères la citent comme une version exemplaire pour son «exactitude». D’origine grecque (du Pont), Aquila avait été baptisé, puis exclu du christianisme. Il se tourna vers le judaïsme et la tradition a fait de lui un prosélyte. Sans doute fut-il un brillant disciple du grand maître juif Aquiba, dont il semble avoir mis en œuvre, dans sa traduction, les principes d’interprétation (selon lesquels, par exemple, chacun des éléments matériellement constitutifs d’un mot hébreu, y compris l’étymologie, possède une ou plusieurs significations). Mais il est probable que Aquila n’a fait que continuer et achever une entreprise de recension grecque des textes sacrés qui avait commencé sous l’impulsion des rabbins dès la fin du Ier siècle et dont, semble-t-il, Josèphe lui-même est le témoin dans ses Antiquités juives .Les targumsOn appelle targums les traductions araméennes que les Juifs, palestiniens et babyloniens, ont faites, des siècles durant, des textes bibliques. Ainsi, un targum du Pentateuque existait probablement, peut-être même avec plusieurs variantes, dès la fin de l’ère préchrétienne. Derniers venus, les targums des Hagiographes sont très tardifs.Le mot «targum» n’est pas hébraïque, ni même sémitique. D’origine hittite, il signifie «annoncer», «expliquer», «traduire». Le traducteur officiel de la synagogue était appelé torgeman ou meturgeman .Orales et improvisées, fragmentaires et occasionnelles vu leur finalité cultuelle (lecture synagogale), les traductions araméennes de la Bible furent très vite fixées par écrit, puis rassemblées en des blocs unitaires correspondant aux grandes unités bibliques (Pentateuque, Prophètes, etc.). Elles n’étaient pas des versions littérales. La souplesse de leur exécution permettait l’introduction aisée d’éléments d’interprétation que la piété populaire ou même des écrits parabibliques gardaient disponibles. Aussi certains passages sont-ils de vraies paraphrases. Bien plus, dans certains targums plus tardifs, on ne trouve plus rien qui, de près ou de loin, ressemble à une traduction. Dans le targum du Cantique des cantiques, par exemple, le texte biblique est «lu» d’un bout à l’autre comme une allégorie des relations entre Dieu et son peuple. En fait, dans la pratique targumique, le judaïsme continuait à investir les règles d’herméneutique, les réflexes de relecture et d’actualisation déjà en œuvre dans ses productions littéraires monolingues.Plusieurs facteurs étant en cause, l’étude des targums est aujourd’hui très vivante. Les découvertes de Qumr n n’y sont pas étrangères: à côté d’un lot de fragments targumiques épars, on a trouvé un Targum de Job , ainsi qu’un ouvrage paratargumique ou prétargumique, l’Apocryphe de la Genèse , qui permet de mieux poser la question difficile des limites génériques du targum. Intervint également la découverte, en 1949, à la Bibliothèque vaticane, d’une recension complète du targum palestinien du Pentateuque, identifié en 1956, le Codex Neophiti I . Il faut mentionner aussi l’intérêt que certains spécialistes du Nouveau Testament ont apporté à cette interprétation juive de l’Écriture qui se trouve contemporaine des écrits qu’ils étudient. Enfin, les travaux philologico-historiques sur la langue de Jésus ont bénéficié de ces recherches, qu’en retour ils n’ont cessé de stimuler.La littérature targumique existante peut se classer comme suit:1. Les targums du Pentateuque: le Targum d’Onqelos (ou Targum de Babylone ), qui, targum officiel du Pentateuque, eut une place de choix dans le sillage du Talmud de Babylone; son origine fut toujours discutée; selon les avis les plus autorisés, il serait, plutôt qu’une production babylonienne, et malgré ses connivences avec des traditions mésopotamiennes, la révision en araméen littéraire d’un vieux targum palestinien. Le Pseudo-Jonathan (ou Yerushalmi I ), qui est authentiquement palestinien et dont le nom le plus ancien est Targum de Palestine ; très paraphrastique et composite, il contient toute une tradition ancienne de haggada et témoigne, partant, d’une exégèse contemporaine du Nouveau Testament; sa rédaction finale est néanmoins tardive: il y est fait mention de Constantinople et de la famille de Mahomet. Un Targum fragmentaire (ou Yerushalmi II ): quelque huit cent cinquante versets ou débris, allant de chapitres entiers à quelques membres de phrase ou mots isolés; de larges paraphrases s’y manifestent; des passages très tardifs s’y mêlent à des éléments très anciens. Des Fragments de la Genizah du Caire : édités en 1930, ils représentent des traditions plus anciennes que celles du précédent. Le Codex Neophiti I , dont l’essentiel peut être daté du IIe siècle et qui est plus tardif dans son état présent (retouches rabbiniques et influences d’Onqelos).2. Le targum des Prophètes: le Targum de Jonathan ben Uzziel – targum officiel des Prophètes et collection anonyme imputée à un disciple de Hillel (Ier s.); il fut rédigé en Babylonie, entre le IIIe et le Ve siècle, à partir de matériaux d’origine palestinienne.3. Les targums des Hagiographes: d’origine palestinienne pour la plupart, ils sont tardifs; aucun n’est antérieur à la période talmudique (les seuls targums officiellement reconnus étaient les targums du Pentateuque et des Prophètes); on peut les diviser en quatre groupes (Psaumes et Job ; Proverbes ; les Cinq Rouleaux ; les Livres des Chroniques ).La VulgateC’est après avoir entrepris de réviser la traduction latine du Nouveau Testament puis de traduire l’ensemble de l’Ancien Testament à partir du texte grec des Hexaples d’Origène que saint Jérôme, en 391 environ, reprit ce second projet mais en travaillant alors sur le texte original, hébreu ou araméen. Cette version juxta hebraica veritatem , en dépit des contemporains qui restèrent fidèles aux vieilles traductions latines, allait finir, au VIIIe siècle, par s’imposer universellement.Ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que le terme de vulgate (vulgata editio , édition communément employée) a été restreint à la traduction latine de la Bible due à saint Jérôme. Celui-ci l’employait lui-même pour désigner la traduction grecque dite des Septante ou les anciennes traductions latines.Le concile de Trente a déclaré (8 avr. 1546) que «la vieille édition de la Vulgate (vetus et vulgata editio ), approuvée dans l’Église par le long usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications, et que personne ne doit avoir l’audace ou la présomption de la rejeter, sous aucun prétexte». Le contexte de ce décret montre que, parmi les éditions latines des Livres saints qui étaient en circulation, c’est la Vulgate que l’Église reconnaît comme faisant autorité.Pie XII (encyclique Divino afflante Spiritu , 30 sept. 1943) a précisé que cette authenticité n’est pas à entendre au sens critique (valeur scientifique de la traduction), mais au sens juridique, en ce sens que la Vulgate «est absolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi ou les mœurs». Le même Pie XII et après lui le IIe concile du Vatican (constitution sur la Révélation) invitent à recourir aux textes originaux.La Vulgate fut imprimée dès 1456 par Gutenberg; d’autres éditions suivirent (Érasme, 1528). Le concile de Trente demanda une édition officielle. L’édition publiée sur l’ordre de Sixte Quint en 1590, et regardée comme définitive, fut révisée sur l’ordre de Clément VIII et publiée en 1592; c’est la Vulgate «sixto-clémentine» de nos Bibles latines.En 1907, Pie X chargea une commission de bénédictins (de l’abbaye de Saint-Jérôme à Rome) d’entreprendre une édition critique de la traduction de saint Jérôme.
Encyclopédie Universelle. 2012.